L'intérim, c'est un monde de loups. C'est pire qu'un monde de loups. C'est un monde, où les loups ne vous rappellent pas au téléphone.
Imaginez une fourmilière d'homme. Vous êtes un pion. Vous êtes une cellule d'une structure plus grande qui pense à votre place. Il est une heure du matin et vous êtes là, dans cet immense loft pour cartons. Vous ne réfléchissez plus, tout est organisé pour effacer la réflexion et automatiser le comportement.
C'est la négation de la pensée a son paroxysme.
Tout se déroule comme un rêve, ou machinalement vous vous déplacez. Pour chaque action, il y a une règle, il n'y a pas de choix, vous rentrez dans un moule que l'on a construit pour vous. Laissez vous faire et tout ira bien. Réfléchir vous encombre plus qu'autre chose. Et c'est vrai que c'est apaisant, cette sensation d'être totalement déresponsabilisé. On s'échappe, on part, on s'oublie, le corps agit mais le cerveau est ailleurs. Vous êtes dans un autre monde, c'est l'abstraction totale, vous perdez pendant 8 heures ce qui fait de vous un homme.
L'émotionnel prend totalement le dessus, les pulsions fusionnent. Vous êtes énervé, vous êtes fort, vous êtes un homme. Tout n'est que virilité, que puissance masculine. Lâcher prise serait une faiblesse. Vous êtes dans un combat, une intimidation perpétuelle pour exister. On ne dit pas "pardon" mais "attention a toi", pas de "merci" mais "c'est bon". Pas de "s'il te plaît" mais de l'impératif a toutes les phrases. On ne pose pas non plus de questions, on affirme.
On hurle pour appeler, on critique pour critiquer, on s'engueule pour exister, on se fout sur la gueule, parce qu'on a passé une mauvaise journée.
Vous n'avez que des chefs, des petits chefs, des grands chefs, des vrais, des chiants, des cons mais ils sont tous chefs et vous donnent tous des ordres.
Vous êtes une victime d'une société qui n'a besoin de vous qu'a travers la capacité que pourrait avoir un animal. Vous êtes un pantin remplaçable et corvéable à merci. Vous êtes pris au piège d'une société qui vous utilise tout en vous avilissant.
Vous êtes intérimaire, vous êtes moi, et croyez moi, vous êtes perdu. Mais vous n'êtes là que pour un mois, alors pas de plaintes.
Lui est ouvrier. Lui a besoin de manger. Lui n'a que ça. Il est là, perdu, mais n'en sortira pas. Et il a plus besoin de cette entreprise qu'elle n'a besoin de lui. Il n'a pas choisi ça, il n'en a pas non plus envie. Il ne se plaint pas, il n'est pas malheureux non plus , mais on fait pas toujours ce qu'on veut dans la vie et puis il n'y a pas de sous métier. Chacun à sa place. Il devait pas être fait pour l'école. Il a sans doute été un peu fainéant. Ou bien même il est un peu simple. Il est forcement responsable de sa situation.
Ou alors il n'a pas eu les même chances que les autres au départ, ou alors il n'a pas rencontré les bonnes personnes. Il a peut être trébuché à un moment de sa vie sans que personne ne le relève.
Pour moi l'homme ne maîtrise pas tout dans sa vie, et sa situation est plus souvent lié a l'environnement dans lequel il a évolué qu'a son mérite personnel.
Je vais pas vous faire un topo sur les statistiques de reproduction des classes sociales mais il est clair, que l'on n'est pas égaux, dans la naissance comme dans la vie. La part de mérite que j'ai dans ma vie est bien infime comparée à celle de chance. Le "Self made man" n'existe pas, tout nos caractéristiques personnelles sont fonction de l'environnement dans lequel on vie.
"Il n'y a pas de sous métier"
Non mais vous vous entendez quand vous dites ça. Toute l'hypocrisie de cette phrase. Vous croyez que c'est le choix qui amène a faire ouvrier à la chaîne. Bien sûr qu'il y a des sous métiers, il y a même du racisme, de la haine ...
Il n'est, de nos jours, plus a prouver l'existence du désintéressement humain, de l'altruisme, de l'empathie et des licornes.
On ne vie pas dans un bon petit monde, ou tout le monde est gentil et bienveillant. Pourquoi cette naïveté complaisante dans la bouche des adultes pour parler aux enfants "il n'y a pas de sous métier chéri mais fait quand même médecin, on sait jamais". Ou mieux "il n'y a pas de sous métier chéri tu verra balayeur c'est super, tu vas faire carrière "
L'école, ou l'art de légitimer la place de chacun dans la société.
La société vous place à un endroit et vous fait croire que vous l'avez choisi, "il n'y a pas de sous métier" ressemblerait alors à la phrase phare de la propagande scolaire.
Alors on se réveille un mois plus tard, le monde n'est pas juste et ce genre d'expérience vous a passé l'envie de vous plaindre pour toute une vie. Mais ça va, on est heureux ... bien sûr qu'on est heureux, on est en vie.